14 mars 2010

Cœur de givre

C’était un petit garçon qui vivait en hiver.

Le petit garçon n’avait jamais connu d’autre saison. Il ignorait les feuilles des arbres et leur verdure. La robe des lièvres ne changeait pas de couleur pour lui. Ses jours étaient blancs et ses nuits étaient froides.

Chaque matin, le petit garçon regardait le soleil. Il croyait qu’il existait un endroit, près de lui, où les gens n’avaient pas froid. Aussi marchait il, jour après jour, pour se rapprocher du soleil.

Mais aussi loin qu’il allait, les arbres restaient nus, le vent le faisait toujours frissonner, nul son ne naissait quand ses pas épousaient la neige. Le petit garçon ne savait pas que l’hiver l’accompagnait partout où il se rendait. À cause de cela, les gens l’évitaient et les animaux le fuyaient.

Un jour, le petit garçon demanda à son grand frère :
« Est ce que tu crois que nous atteindrons le soleil, un jour ? »

Son grand frère connaissait la malédiction qui le frappait. Il ne voulait pas lui faire de peine, mais il ne pouvait pas lui mentir. Alors il lui répondit :
« Je ne crois pas, même si nous marchions toute notre vie. Mais on peut très bien vivre loin du soleil, tu sais. »

Assis contre le tronc d’un arbre ridé, ils regardaient le ciel. Le petit garçon était songeur. Il reprit :
« J’espère quand même qu’on arrivera près de lui un jour. »

Malgré sa tristesse, le grand frère sourit. Il y eut un instant de silence. Puis le petit garçon dit :
« Pourquoi est ce que le soleil nous réchauffe si peu ? »

Le grand frère ne répliqua pas tout de suite, car il regardait les nuages. Après les avoir dévisagés un moment, il répondit :
« Parce que nous sommes loins. Il nous réchauffe autant qu’il le peut, mais il y a tant de gens qui ont besoin de lui qu’il ne peut pas nous envoyer davantage de ses rayons. D’autres en ont besoin, eux aussi. »

Le petit garçon écoutait attentivement ce que lui disait son grand frère. Il paraissait perdu dans ses pensées. Enfin, il parla de nouveau :
« Dis, grand frère, est ce que tu crois que le soleil est heureux ? »

Pendant quelques instants, le grand frère resta interdit. Ne sachant que répondre, il contemplait l’astre orangé.
« Je crois, oui… »

Le petit garçon leva les yeux vers son aîné. Et tandis que les premiers flocons du soir effleuraient son visage, il sourit. Puis, il posa la tête contre la poitrine de son grand frère, et s’endormit.

10 mars 2010

Feuilles

Le souvenir le plus lié à papy, c’est celui des toilettes de leur ancien appartement. Quand j’allumais la lumière, la radio se mettait en marche. Petit, ça me fascinait.

J’ai en mémoire des images de son atelier, rempli d’objets dont je ne comprenais pas le sens et qui exerçaient sur moi un pouvoir d’attraction hypnotique. Je me souviens de ce vieux projecteur qui passait un dessin animé et du clignotement d’un autre âge dû au passage des images.

Je me rappelle ses histoires de marin qu’il aimait nous raconter et que j’adorais écouter.

Je garde comme un trésor les journaux qu’il avait achetés le jour de ma naissance et qu’il m’avait offerts dix-huit ans plus tard. Que j’aurais aimé perpétuer cette tradition…

Je regrette de ne pas avoir été plus grand pour lui dire combien son don pour le bricolage me subjuguait.

Je regrette l’éloignement et les longues périodes entre les vacances, autant d’occasions manquées de le connaître.

Je regrette que, alors que j’en avais enfin l’opportunité, la mort m’ait interdit de rattraper ce retard.

J’espère que j’aurai une seconde chance, le jour où, à mon tour, j’embarquerai vers ces rivages où, comme je le crois, tu vis désormais.

Et si j’ai tort, alors je suis heureux de ne pas avoir à vivre éternellement avec ce vide.