30 juillet 2011

Il était une fois…

Vous êtes dans une petite clairière ceinte par de vénérables chênes au-delà desquels votre regard n’attrape que les quelques nuances de vert que laisse filtrer une frondaison dense. L’herbe haute chatouille vos chevilles tandis que d’un ciel uniformément bleu le soleil darde ses rayons d’été, desquels vous protège l’ombre des branches séculaires qui jaillissent du tronc à l’écorce rugueuse sur lequel votre dos repose. Vous pourriez faire partie d’un tableau tant tout paraît calme et immobile, et ne serait-ce le frémissement des feuilles lorsqu’un vent égaré s’en vient soupirer parmi les cimes, vous vous attendriez presque à voir surgir une main géante munie de son pinceau ajouter ça et là quelques touches colorées à votre décor.

Il ne semble y avoir ni entrée ni sortie à la clairière hormis, peut-être, une petite trouée dans son côté droit, tâche sombre au milieu de la verdure. Devant vous, au-delà des arbres, vous distinguez les monts enneigés de quelque massif. Soudain, votre œil capte un mouvement furtif sur votre gauche. Vous tournez aussitôt la tête mais ne parvenez qu’à entrapercevoir une petite silhouette blanche s’enfoncer dans les fourrés dans un frou-frou de feuillages.

Allez-vous :
— tenter de suivre la créature ?
— quitter la clairière par le petit passage ?
— vous enfoncer dans la forêt, droit devant-vous ?
— y pénétrer par la partie à laquelle vous tournez le dos ?
— vous allonger dans l’herbe, et attendre ?

13 juillet 2011

L’éphémère a-t-il de la valeur ?

Sujet de l’épreuve de philo du bac il y a une dizaine d’années. (Pas l’année où je l’ai passé, bien que je ne me rappelle plus du sujet sur lequel j’étais tombé.)

Je ne sais pas pourquoi, cette question m’est restée en tête et j’y ai souvent pensé par la suite, essayant d’y trouver une réponse.

Le problème avec les questions de philo, c’est qu’il faut d’abord en définir les termes. Et comme en général, il n’y pas qu’un seul sens possible aux mots… on se retrouve vite à répondre à une autre question que celle posée.

Essayons quand même… Qu’est-ce qu’« avoir de la valeur » ? La notion de valeur me semble impliquer celle de jugement. Quelque chose qui a de la valeur pour quelqu’un, c’est quelque chose qui compte à ses yeux, qui possède un intérêt. On se contentera de cette définition… (J’ai tendance à dire « on » pour «  je ».)

Qu’est-ce que l’éphémère ? Au sens premier du terme, quelque chose qui ne dure pas. Là, c’est un peu plus difficile de se contenter de cette définition… En effet, qu’est-ce que quelque chose qui ne dure pas ? Qu’est-ce que « durer » ? Tout dépend de la façon dont on considère l’objet auquel s’applique cette notion, à mon avis. J’en vois deux : soit on considère un état particulier de l’objet, soit on le considère dans sa globalité, notamment en prenant en compte son interaction et son influence sur l’environnement.

Prenons l’exemple d’un monument. On peut considérer qu’il « dure » jusqu’à ce qu’il soit détruit par un événement ou simplement l’usure du temps (ce qui s’accorde bien avec la notion de durée). Mais cesse-t-il d’avoir « de la valeur » pour autant ? Certes non, ne serait-ce que tant que son souvenir demeure dans la mémoire des gens. On peut aussi prendre l’exemple d’une vie humaine. Le souvenir d’un homme demeure bien au-delà de sa mort. Et quand bien même son souvenir disparaîtrait, par la façon dont il a modifié son environnement, son influence demeurera ad vitam æternam. En effet, je ne crois pas un instant que le monde pourrait être identique si on avait la possibilité de retourner dans le passé et qu’on décidait de l’utiliser pour empêcher la naissance d’une personne prise au hasard (non, je ne fais pas référence à Terminator). Les changements seraient peut-être minimes, mais ils seraient là, et peut-être (probablement ?) modifieraient-ils de façon plus radicale encore un futur lointain. L’effet papillon ramené à l’échelle des relations humaines.

En somme, si on considère que la notion d’éphémérité s’applique à un état donné d’un objet (au sens large du terme : monument, être humain…), il me paraît indéniable que l’éphémère a de la valeur. Si, au contraire, on considère que quelque chose dure tant que son souvenir ou son influence demeure (pour résumer), alors l’éphémère n’existe tout simplement pas.

Cette réponse a l’avantage de ne pas considérer la notion d’éphémérité sous l’angle de la durée « relative ». J’ai pris l’exemple d’un monument. Certains existent depuis plusieurs milliers d’années. Or, en général, on attribue plus volontiers le qualificatif d’« éphémère » à quelque chose dont l’existence se mesure en secondes, minutes, heures… voire en jours, mais rarement plus. Mais je trouve cette façon de considérer l’éphémérité… disons fluctuante, et sujette au changement en fonction de l’observateur. Il me semble ardu d’analyser une notion dont la définition change selon le point de vue. Je préfère donc y appliquer une définition binaire qu’on pourrait résumer par « est éphémère ce qui cesse d’exister au bout d’un certain moment », « cesser d’exister » pouvant, à mon avis, être traduit de deux manières, celles que j’ai décrites plus haut.

J’ai dit que la valeur était liée (pour moi) à la notion de jugement. J’ai également écrit que l’éphémère possédait de la valeur ou n’existait pas car, dans ce dernier cas, tout objet modifiait son environnement et y imprimait une influence durable, ou plutôt : sans fin.

Mais est-ce vraiment le cas ?

Cette notion d’infini ne peut être vraie que si l’univers dans lequel nous évoluons est, lui aussi, sans fin. De « l’éphèmere n’existe pas », on passerait ainsi à « tout est éphémère » ! Le problème, c’est que je ne connais personne capable de savoir si tel est le cas ou non.

Le premier cœur de la question originelle, en revanche, est plus intéressant. La « valeur » est liée au jugement, donc à la conscience. Cette conscience est-elle elle-même éphémère…?

D’un point de vue individuel, c’est fort possible. Nul ne sait ce que devient notre conscience après notre mort. Certains croient en l’immortalité de l’âme, d’autres sont purement matérialistes, mais personne n’a la réponse. À nouveau, nous sommes bloqués pas notre ignorance. (J’ai aussi tendance à dire « nous » pour « je », et je ne précise pas toujours que ce que je dis n’engage que moi, donc pardonnez-moi si, par moments, j’oublie d’écrire « selon moi », « à mon avis », ou toute autre expression similaire dont je ne suis pourtant pas avare.)

On pourrait considérer que ça n’a pas d’importance. Si notre conscience est vouée à disparaître et que la valeur de toute chose cesse ainsi d’être à nos yeux, elle est toujours présente tant qu’il existe d’autres consciences pour entretenir cette valeur. Cela pose toutefois l’intéressante question de l’individualisme… Mais c’est un sujet beaucoup trop vaste — bien qu’il m’intéresse beaucoup — pour que être abordé ici. Peut-être un autre jour…

La notion de valeur reste liée à celle de la conscience (collective plutôt qu’individuelle, donc) et pose la question de l’éphémérité de cette dernière. Nous sommes passés de « l’éphémère a-t-il de la valeur ? » à « la valeur est-elle éphémère ? »

Il est malheureusement (ou heureusement, c’est selon) peu probable que l’humanité soit immortelle. « L’univers est né sans l’homme et mourra sans l’homme », disait Claude Lévi-Strauss. Si la valeur est liée à la conscience comme je l’ai écrit plusieurs fois, alors elle est, très probablement, éphémère… À la question « l’éphémère a-t-il de la valeur ? », on répondrait alors par « tout est éphémère, y compris la valeur… » du moins si on considère que la valeur est effectivement intrinsèquement liée à la conscience. Encore une fois, est-ce vraiment le cas ?

Vaste sujet, une fois de plus. Peut-être que lui aussi fera l’objet d’un nouveau message. Un jour…