21 mai 2011

Rien.

09 mai 2011

Réflexions intimes

Depuis un certain temps, une question me trotte dans la tête sans que je puisse vraiment la formuler. Je me la suis posée en repensant à deux scènes issues d’œuvres de fiction. La première est tirée de L’Homme invisible, de H. G. Wells, la seconde de la série Heroes — on a les références qu’on peut…

Dans les deux cas, le personnage à l’origine de mon interrogation est un homme qui possède la faculté de se rendre invisible : le docteur Griffin dans L’Homme invisible et Claude Rains dans Heroes. Tous deux ont pour point commun d’éprouver un certain mépris pour le genre humain. Étant, en effet, capables de surprendre les gens dans leur intimité, ils ont plusieurs fois eu l’occasion de constater un décalage de comportement de leur part selon qu’ils s’expriment en public ou en privé. D’après eux, nous ne serions que des hypocrites lorsque nous nous trouvons face aux autres, et ne révèlerions notre vraie nature que lorsque nous nous croyons à l’abri des regards.

Impossible de ne pas reconnaître au moins un fond de vérité à cette assertion. Il est indéniable que l’on fait plus attention à ce qu’on dit d’une personne quand on est en face d’elle, par exemple, ainsi il est rare qu’on déclare à quelqu’un qu’on n’apprécie pas ce qu’on pense de lui. Ou même qu’on évoque les défauts d’un ami en le regardant dans les yeux, alors qu’on ne se retient pas forcément de le faire dans son dos. Sommes nous pour autant « faux » lorsque nous sommes en face des gens ? Est-ce que nous nous forçons à adopter une attitude face à eux, à porter un masque qu’on ôte sitôt qu’on en a l’occasion ?

Si j’ai tendance à penser que, effectivement, nous agissons différemment en public et en privé, je pense, contrairement aux deux personnages cités précédemment, que le visage que nous affichons dans l’intimité n’est pas forcément celui qui se rapproche le plus de notre vraie personnalité, et que c’est parfois même l’inverse.

On se laisse souvent aller, quand on est seul — ou, du moins, quand on se croit seul. On décompresse, on laisse libre-cours à ses pensées, on ne filtre plus. On râle un bon coup contre quelqu’un qui nous a énervé, même si c’est un ami qu’on apprécie en temps normal, alors qu’on n’a pas osé le faire en face de lui, pour ne pas le blesser. Une fois seul, en revanche, on peut se défouler sans que ça prête à conséquence.

C’est là le point important, à mon avis. Dans l’intimité, on ne risque pas de blesser qui que ce soit. En revanche, à partir du moment où nos actes ont une conséquence, il convient de les mesurer. Dans le premier cas, on peut se laisser aller sans réfléchir (la connerie est la décontraction de l’intelligence, disait Gainsbourg), dans le second cas, il faut choisir si on se laisse aller ou si on maintient le contrôle.

Or, je pense, ce sont nos choix qui déterminent qui nous sommes. J’aime imaginer l’être humain comme une composante de trois éléments : le corps, le cœur et l’esprit. Et je pense que ce sont essentiellement les deux derniers qui nous définissent. Un choix demande une réflexion, une action de l’esprit. Gueuler un bon coup n’est qu’un besoin naturel exprimé par le corps. On ne peut pas s’empêcher de ressentir certaines choses, par contre, on peut choisir d’y prêter attention ou pas. C’est ce choix, je pense, qui détermine vraiment qui nous sommes. Mais il est difficile d’aller tout le temps contre ce qu’on ressent, c’est pourquoi on a parfois besoin d’ouvrir les vannes et de décompresser lorsque l’on est seul. Lorsque, comme je l’écris plus haut, on ne craint pas les conséquences.

Imaginons que je sois au téléphone avec une personne que j’aime beaucoup. Cette personne ne va pas bien et a besoin de parler. Ça tombe bien, je suis là. Problème : il est très tard, je suis complètement crevé et je n’aspire qu’à aller me coucher. Je reste, pourtant, par amitié. Peut-être qu’en raccrochant, je pousserai alors un gros soupir de soulagement… Mais ce ne sera que la manifestation de ma fatigue, que je pourrai enfin libérer.

Ce n’est, bien sûr, pas pour ça qu’on n’est pas hypocrite lorsque l’on parle à quelqu’un (prenez les hommes politiques…), je pense simplement qu’on ne peut juger quelqu’un sur ce qu’on peut surprendre de lui dans son intimité. Je doute fort que quiconque ait un jour écrit sur moi dans son journal intime, mais si c’était le cas et que le hasard me faisait tomber sur ces lignes me concernant, il est très probable qu’elles ne me plairaient pas forcément. Devrais-je m’en sentir vexé ? Je ne pense pas… Ou plutôt, je sais que je ne devrais pas me fier à ces mots. Ils seraient peut-être l’expression de ce que pense vraiment la personne, ou juste un ressenti qu’elle aurait eu besoin de coucher sur le papier. Il y a une telle scène dans Le Journal de Bridget Jones — je continue dans les références hautement culturelles… Vers la fin du film, l’homme dont Bridget est amoureuse (pardonne-moi, Connie, j’ai oublié son nom) tombe sur des pages de son journal sur lesquelles est écrit plusieurs fois « I hate him! ». Aïe… Sauf que ces mots ne reflètent nullement ce qu’elle pense (ni ne pensait) réellement, ils ne sont que l’exutoire de la frustration de Bridget à un moment donné. D’ailleurs, Mark Darcy (ça y est, j’ai retrouvé son nom, merci Wikipédia) le comprend très bien, heureusement pour elle.

En résumé, le décalage de comportement entre la sphère public et privée n’a, pour moi, pas que l’hypocrisie pour seule et unique cause possible. Le fait est qu’on ne peut pas savoir. L’intimité n’est pas un terreau plus propice à la sincérité que n’importe quel environnement social car, à mon sens, ce ne sont pas nos pensées, nos sentiments ou nos émotions qui décrivent ce que nous sommes, mais ce que nous faisons de ces pensées, de ces sentiments ou de ces émotions.