22 décembre 2010

La Roue tourne…

Il y a quelques années, peu de temps avant de partir étudier en Irlande, j’ai découvert, un peu par hasard, une série de romans méd’ fan’ intitulée « La Roue du Temps ». Très vite, je suis tombé sous le charme. Pas aussi lent à démarrer que Le Seigneur des Anneaux, le récit faisait néanmoins la part belle à de longues descriptions mettant petit à petit en place l’histoire, les personnages et l’univers, imprimant un rythme tranquille aux premiers chapitres et créant ainsi une empathie naturelle entre mon monde intérieur et ce monde de papier.

Au début de l’histoire, les habitants d’un village se préparent à célébrer la grande fête annuelle de Bel Tine. La description des préparatifs, l’enthousiasme des personnages à l’approche du jour J et devant l’arrivée d’intrigants visiteurs étaient si bien retranscrits et si communicatifs que, bien que je savais pertinemment que ce décor insouciant ne pouvait pas ne pas s’écrouler, j’en venais à désirer que la fête ait néanmoins lieu, comme si j’allais en faire partie. Bien sûr, tout bascule, et la nuit qui précède (Winternight, la Nuit de l’hiver), d’étranges et maléfiques créatures, mi-hommes, mi-bêtes, attaquent le village et les fermes environnantes, dont celle d’un homme et de son jeune garçon, Rand, le futur héros de l’épopée. À nouveau, la narration, haletante, la manière dont sont décrites les pensées et les émotions transmettent presque contagieusement à travers et au delà des pages la sensation de rupture, l’angoisse et l’impatience de découvrir ce qui va suivre.

Le lecteur accompagne alors les protagonistes de l’histoire dans une quête qui les mènera au quatre coins du monde imaginé par Robert Jordan, qui prend plaisir, dans ce premier tome, à disséminer ça et là, par petites touches, les pièces qui constitueront son incroyablement riche univers. Arrivé à la fin du premier volume de l’édition française (soit la moitié de l’édition originale) et profitant de ma présence en terre anglophone, j’ai alors naturellement commencé à acheter les livres dans la langue de Shakespeare, continuant une fois rentré en France. C’est à ce moment que j’ai appris le décès du père de The Wheel of Time, et craint un bref moment que l’histoire ne soit jamais achevée. Mais, se sachant condamné, Robert Jordan (atteint d’amylose), avait eu le temps d’écrire une partie de la fin et de rassembler suffisamment d’éléments pour qu’un autre que lui puisse mener à terme la saga, de la façon dont il l’avait imaginée. C’est finalement à Brandon Sanderson que cet honneur fut échu, et sur les trois livres qui restaient à écrire, deux sont sortis. Le dernier en date, Towers of Midnight, est paru il y a un peu moins de deux mois et j’ai fini de le lire il y a quelques jours. C’est ce qui m’a donné envie de parler un peu de cette saga hors du commun.

Comme je l’écris plus haut, l’univers est riche, très riche. Chaque pays, chaque culture est extrêmement détaillée, à tous les niveaux : nourriture, vêtements, monnaie, politique, langue, traditions… Tout est décrit, mais, et c’est là l’une des grandes forces de l’auteur, jamais de manière directe ou didactique. La découverte d’une culture ou d’un nouvel aspect de cette culture s’harmonise toujours avec le récit, parfois à travers les pensées ou les réactions d’un personnage, parfois sans vecteur ; la description de la scène ignore alors le lecteur, le plaçant de ce fait dans la position d’un observateur privé de guide, forcé d’assimiler le monde qui l’entoure par l’expérience, comme un voyageur partant à la découverte d’un nouveau pays finit par perdre son sentiment d’exotisme initial à force d’observer au quotidien cette culture étrangère.

On retrouve un peu cette façon de considérer le lecteur comme un observateur plutôt que comme un spectateur dans la manière dont sont traitées les pensées des personnages. Chaque scène est vécue à travers les yeux d’un des protagonistes. Or, tous possèdent un caractère bien à eux, qu’on prend beaucoup de plaisir à découvrir ou redécouvrir. Il est ainsi particulièrement savoureux de se délecter de la mauvaise foi dont certains peuvent parfois faire preuve. Souvent, aussi, le lecteur est le témoin impuissant d’une incompréhension mutuelle entre deux personnages ou deux groupes de personnages. On aimerait, dans ses moments là, avoir le pouvoir d’agir pour ramener chacun à la raison, par crainte des conséquences, d’une issue néfaste. Car on s’attache rapidement aux personnages. C’est un autre aspect de la richesse de cette œuvre : leur nombre, énorme (le site WoT Encyclopædia en recense 1180 jusque là !), et surtout la manière dont ils sont abordés. Ainsi, autour de Rand gravite une multitude de compagnons, sans le moindre faire-valoir parmi eux. Tous sont traités en profondeur, multipliant les axes d’intérêts. On ne peut pas tous les apprécier : les caractères sont trop différents et trop détaillés pour qu’on ne puisse avoir quelques têtes de Turc dans le lot mais, à mon sens, cela ne fait que contribuer à enrichir l’intérêt qu’on éprouve pour l’histoire. Enfin, on évite le double écueil du héros principal tellement omniprésent qu’il en devient insipide et tellement omnipotent qu’il en devient énervant. Au contraire, hormis dans les premiers tomes — et encore —, Rand n’est pas plus souvent le centre du sujet qu’un autre. De plus, bien qu’il devient considérablement puissant au fil de l’histoire, il n’en reste pas moins un humain avec ses forces et ses faiblesses ; son évolution n’en est que plus intéressante à suivre.

Comme je l’écris, Robert Jordan aime beaucoup s’attarder sur un personnage, développer sa personnalité, détailler son physique, ses vêtements, ses émotions, son caractère… Il apporte le même souci du détail aux descriptions de scène, usant d’un vocabulaire riche (même si, forcément, les mêmes termes finissent par revenir au bout de quelques pages, les mots n’étant pas infinis), s’attardant sur certains aspects d’un paysage, d’un outil, d’un monument… Il en résulte de longs chapitres qui peuvent, parfois, donner l’impression de s’éterniser.

Les personnages sont nombreux, et les intrigues le sont tout autant. J’ai dit qu’il restait trois tomes à écrire à la mort de Jordan. En fait, ce dernier avait prévu de boucler l’histoire en un seul dernier tome (le douzième). Après que Brandon Sanderson a repris le flambeau, toutefois, il est vite parvenu à la constatation qu’il était impossible de raconter tout ce qu’il restait en un volume, et il a dû le couper en trois parties ! Bien que captivantes, et mêmes passionnantes, la multiplication des trames associée au style prolixe de l’auteur peut parfois déboucher sur la sensation de faire du sur-place, voire de s’ennuyer. Pour cette raison, il est rare qu’on ait un avis mitigé sur La Roue du Temps : on adore, ou on déteste. Il n’y a pas d’entre-deux — du moins, je n’ai encore jamais rencontré quelqu’un qui ne se range pas dans un camp ou l’autre.

Ainsi, s’il est relativement aisé de résumer les premiers volumes, cela devient beaucoup plus difficile à partir du quatrième ou du cinquième, où les différents arcs se sont multipliés et commencent à être traités en parallèle, à parts relativement égales (et encore, certains fils rouges sont victimes d’ellipses). Il arrive aussi, parfois, qu’un tome se termine d’une façon brutale alors que la progression était plutôt laborieuse jusque là. Le déséquilibre qui en résulte n’est pas forcément très habile, pour le coup. C’est particulièrement vrai dans le dernier chapitre du tome 6, Lord of Chaos, dont la bataille qu’il relate est expédiée à la vitesse de l’éclair, laissant le lecteur sur sa faim alors qu’il a plutôt l’habitude d’être (trop, diront les détracteurs) généreusement servi en matière de pages à dévorer. D’autant qu’en temps normal, les différentes scènes de bataille, et surtout la façon dont les personnages y sont mis en scène sont suprêmement prenantes et passionnantes.

Parfois, aussi, l’auteur se laisse aller à des fantaisies qui laissent le lecteur un peu perplexe, comme dans le premier tome où, durant quelques chapitres, Jordan abuse quelque peu d’analepses, s’amusant à imbriquer les retours en arrière… L’effet pourrait être joli s’il ne perdait pas complètement le lecteur. Peut-être est-ce l’effet recherché, d’ailleurs, puisque Rand déclare lui-même se sentir perdu à ce moment de l’histoire ! Néanmoins, recherché ou pas, le résultat n’est, à mon avis, pas très convaincant.

Cependant, ces passages un peu moins maîtrisés (ou, du moins, donnant cette impression) sont rares. En temps normal, le style est limpide, l’histoire coule de source et (si on ne s’y noie pas…) c’est un plaisir incomparable que de découvrir la conclusion de toutes ces intrigues qui nous ont tenus en haleine si longtemps, de saisir au vol les références à des événements antérieurs éparpillées ci et là, de revoir certains personnages attachants croisés une fois ou deux jusque là, de sentir cet univers devenir réel, devenir sien au fur et à mesure qu’on le parcourt… Plus qu’un tome, désormais, et si j’ai hâte de poser mes mains dessus, nul doute que j’aurai l’impression de perdre quelque chose lorsque mes yeux liront la dernière phrase et que son point final m’arrachera à cet univers, ne me laissant que souvenirs et une sensation de vide que seul le temps pourra combler…

30 octobre 2010

Rêve filaire

Je marchais dans une allée pavée de pierres polies par la pluie et l’oubli, dont je n’apercevais pas la fin. Autour de moi riaient les ombres, et à travers le silence je percevais les échos affilés de leurs railleries.

⚜⚜⚜

Comme perdu, un vent nocturne aux froides origines s’engouffrait de temps à autre entre les bâtiments anonymes, sans parvenir à perturber la morne et impassible grisaille ambiante. Nulle âme égarée n’était là pour s’étonner du silence qui accompagnait mes pas lorsque cessait la lancinante plainte aquilone.

☯☯☯

Ma cape épousait l’obscurité tandis que devant moi, les contours d’une silhouette recroquevillée commençaient à se découper dans le manteau de la nuit. Alors que j’atteignais l’être à genoux, j’eus l’impression fugace d’une figure enfantine serrée contre sa poitrine, les traits comme apaisés par un sommeil trop longtemps attendu.

⚖⚖⚖

Les ombres s’étaient tues, l’appétit éveillé par le parfum de conclusion qui imprégnait l’air. Mes mains agrippèrent le manche de mon outil et je le tendis au dessus de l’homme, en un geste répété tant de fois qu’il me semblait que mes bras étaient au repos lorsque je levais ainsi mon instrument.

☥☥☥

À la lueur de la lame, j’aperçus sur son visage figé quelque chose dont l’éclat et la forme évoquaient la lune mourante. Et tandis que s’abattait ma faux, je cherchais en vain dans ma mémoire la signification de cette expression que je ne connaissais pas…

14 mars 2010

Cœur de givre

C’était un petit garçon qui vivait en hiver.

Le petit garçon n’avait jamais connu d’autre saison. Il ignorait les feuilles des arbres et leur verdure. La robe des lièvres ne changeait pas de couleur pour lui. Ses jours étaient blancs et ses nuits étaient froides.

Chaque matin, le petit garçon regardait le soleil. Il croyait qu’il existait un endroit, près de lui, où les gens n’avaient pas froid. Aussi marchait il, jour après jour, pour se rapprocher du soleil.

Mais aussi loin qu’il allait, les arbres restaient nus, le vent le faisait toujours frissonner, nul son ne naissait quand ses pas épousaient la neige. Le petit garçon ne savait pas que l’hiver l’accompagnait partout où il se rendait. À cause de cela, les gens l’évitaient et les animaux le fuyaient.

Un jour, le petit garçon demanda à son grand frère :
« Est ce que tu crois que nous atteindrons le soleil, un jour ? »

Son grand frère connaissait la malédiction qui le frappait. Il ne voulait pas lui faire de peine, mais il ne pouvait pas lui mentir. Alors il lui répondit :
« Je ne crois pas, même si nous marchions toute notre vie. Mais on peut très bien vivre loin du soleil, tu sais. »

Assis contre le tronc d’un arbre ridé, ils regardaient le ciel. Le petit garçon était songeur. Il reprit :
« J’espère quand même qu’on arrivera près de lui un jour. »

Malgré sa tristesse, le grand frère sourit. Il y eut un instant de silence. Puis le petit garçon dit :
« Pourquoi est ce que le soleil nous réchauffe si peu ? »

Le grand frère ne répliqua pas tout de suite, car il regardait les nuages. Après les avoir dévisagés un moment, il répondit :
« Parce que nous sommes loins. Il nous réchauffe autant qu’il le peut, mais il y a tant de gens qui ont besoin de lui qu’il ne peut pas nous envoyer davantage de ses rayons. D’autres en ont besoin, eux aussi. »

Le petit garçon écoutait attentivement ce que lui disait son grand frère. Il paraissait perdu dans ses pensées. Enfin, il parla de nouveau :
« Dis, grand frère, est ce que tu crois que le soleil est heureux ? »

Pendant quelques instants, le grand frère resta interdit. Ne sachant que répondre, il contemplait l’astre orangé.
« Je crois, oui… »

Le petit garçon leva les yeux vers son aîné. Et tandis que les premiers flocons du soir effleuraient son visage, il sourit. Puis, il posa la tête contre la poitrine de son grand frère, et s’endormit.

10 mars 2010

Feuilles

Le souvenir le plus lié à papy, c’est celui des toilettes de leur ancien appartement. Quand j’allumais la lumière, la radio se mettait en marche. Petit, ça me fascinait.

J’ai en mémoire des images de son atelier, rempli d’objets dont je ne comprenais pas le sens et qui exerçaient sur moi un pouvoir d’attraction hypnotique. Je me souviens de ce vieux projecteur qui passait un dessin animé et du clignotement d’un autre âge dû au passage des images.

Je me rappelle ses histoires de marin qu’il aimait nous raconter et que j’adorais écouter.

Je garde comme un trésor les journaux qu’il avait achetés le jour de ma naissance et qu’il m’avait offerts dix-huit ans plus tard. Que j’aurais aimé perpétuer cette tradition…

Je regrette de ne pas avoir été plus grand pour lui dire combien son don pour le bricolage me subjuguait.

Je regrette l’éloignement et les longues périodes entre les vacances, autant d’occasions manquées de le connaître.

Je regrette que, alors que j’en avais enfin l’opportunité, la mort m’ait interdit de rattraper ce retard.

J’espère que j’aurai une seconde chance, le jour où, à mon tour, j’embarquerai vers ces rivages où, comme je le crois, tu vis désormais.

Et si j’ai tort, alors je suis heureux de ne pas avoir à vivre éternellement avec ce vide.

23 janvier 2010

Douleurs fantômes

J’aime croiser le regard d’une jolie fille. En général je baisse les yeux quand cela m’arrive, comme en écho au sentiment d’infériorité que je ressens souvent dans ces moments, mais le simple fait qu’un être du sexe opposé pose son regard sur moi me procure un sentiment chimérique mais plaisant, car ma raison a beau savoir que seul le hasard est à remercier pour ces accidents ordinaires, mon cœur, lui, l’ignore et l’agréable sensation qui en résulte agrémente d’un goût sucré la pâle fadeur de mon quotidien.

Puis la raison reprend le dessus, et le goût se fait doux-amer… Parfois, la douceur saccharine réside un peu plus longtemps, quand j’ai la chance de croiser le même regard plusieurs fois. Je ne me berce pas d’illusions pour autant, néanmoins rien de tel pour colorer ma journée. Il en faut peu à un cœur malade.

Je vis ma solitude comme si j’avais un membre amputé. On apprend à vivre avec (ou plutôt sans, en l’occurrence), on finit par s’y faire, parfois même très bien. Mais de temps à autre on se rappelle qu’il n’est plus là… et on sait qu’il ne repoussera pas.

C’est difficile de décrire ce que je ressens dans ces moments… C’est particulier, je n’arrive pas à mettre de mot(s) dessus. Un mélange de plusieurs sentiments guère plaisants pour la plupart, et parmi eux, l’envie d’écrire…